Ubu Roi c’est une histoire de grosses ficelles : personnages excessifs, situations grotesques, récit ciselé à la hache. Et ça marche.
Le bouffre vit avec la Mère Ubu dans une Pologne imaginaire où il est prêt à prendre le pouvoir pour pouvoir grailler des andouillettes, trahir un pacte au premier obstacle et pour résumer, à vendre père et mère pour arriver à ses fins. Un genre d’Eric Besson de l’époque si vous voulez.
La langue employée est la marque de fabrique d’ « Ubu Roi », rendant si attachants des personnages pourtant détestables. On voit arriver des situations à deux kilomètres mais cela n’ôte rien au plaisir car Père Ubu nous gratifie alors d’un juron dont il a le secret, faisant mouche à tous les coups. Couard de première, grande gueule patentée, gredin notoire, on attend sa prochaine mésaventure, agrémentée de ce qu’il faut de ridicule, jurons et roublardise, corne de ma gidouille !
Les esprits chagrins feront certainement la relation entre la façon de mener le pouvoir par Père Ubu et notre actuelle majorité présidentielle, ainsi que la bêtise d’actions politiques dénuées de logique instaurées contre l’avis de tous ou encore d’une personnalisation du pouvoir qui feraient passer notre Président actuel pour un enfant de cœur. 100 ans après, ça marche encore, pour la simple et bonne raison que Jarry traite de la connerie et que la connerie, c’est comme l’amour, c’est un thème universel et intemporel.
Petit extrait pour cerner le bonhomme. Père Ubu vient de prendre le pouvoir en Pologne et la Mère Ubu le somme de fêter ça en donnant de l’argent au peuple (acte II, scène VI) :
Père Ubu
Non, je ne veux pas, moi ! Voulez-vous me ruiner pour ces bouffres ?
Capitaine Bordure
Mais enfin, Père Ubu, ne voyez-vous pas que le peuple attend le don de joyeux avènement ?
Mère Ubu
Si tu ne fais pas distribuer des viandes et de l’or, tu seras renversé d’ici deux heures.
Père Ubu
Des viandes, oui ! de l’or, non ! Abattez trois vieux chevaux, c’est bien bon pour de tels sagouins.
Mère Ubu
Sagouin toi-même ! Qui m’a bâti un animal de cette sorte ?
Père Ubu
Encore une fois, je veux m’enrichir, je ne lâcherai pas un sou.
(…)
Capitaine Bordure
Mais, Père Ubu, si tu ne fais pas de distributions le peuple ne voudra pas payer les impôts.
Père Ubu
Est-ce bien vrai ?
Mère Ubu
Oui, oui !
Père Ubu
Oh, alors je consens à tout. Réunissez trois millions, cuisez cent cinquante bœufs et moutons, d’autant plus que j’en aurai aussi.
Le récit va très vite, accentuant encore le ridicule de certaines situations comme les batailles, donnant l’impression de voir un spectacle de marionnettes (ce pour quoi avait été conçu Ubu Roi au départ). On retourne alors en enfance avec plaisir, en s’amusant de jurons et en s’extasiant de situations comiques régressives.
Ubu Roi, c’est de la science politique et du théâtre, c’est du rire gras et de l’allusion presque subtile, c’est « Le Prince » de Machiavel (dont on reparlera ici d’ailleurs) et un bon dessin de Reiser à la fois. Ubu Roi, c’est bien et alors, de par ma chandelle verte, bonne lecture !