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18 septembre 2011 7 18 /09 /septembre /2011 17:45

Ubu Roi c’est une histoire de grosses ficelles : personnages excessifs, situations grotesques, récit ciselé à la hache. Et ça marche.

Le bouffre vit avec la Mère Ubu dans une Pologne imaginaire où il est prêt à prendre le pouvoir pour pouvoir grailler des andouillettes, trahir un pacte au premier obstacle et pour résumer, à vendre père et mère pour arriver à ses fins. Un genre d’Eric Besson de l’époque si vous voulez.

La langue employée est la marque de fabrique d’ « Ubu Roi », rendant si attachants des personnages pourtant détestables. On voit arriver des situations à deux kilomètres mais cela n’ôte rien au plaisir car Père Ubu nous gratifie alors d’un juron dont il a le secret, faisant mouche à tous les coups. Couard de première, grande gueule patentée, gredin notoire, on attend sa prochaine mésaventure, agrémentée de ce qu’il faut de ridicule, jurons et roublardise, corne de ma gidouille !

ubu

Les esprits chagrins feront certainement la relation entre la façon de mener le pouvoir par Père Ubu et notre actuelle majorité présidentielle, ainsi que la bêtise d’actions politiques dénuées de logique instaurées contre l’avis de tous ou encore d’une personnalisation du pouvoir qui feraient passer notre Président actuel pour un enfant de cœur. 100 ans après, ça marche encore, pour la simple et bonne raison que Jarry traite de la connerie et que la connerie, c’est comme l’amour, c’est un thème universel et intemporel.

Petit extrait pour cerner le bonhomme. Père Ubu vient de prendre le pouvoir en Pologne et la Mère Ubu le somme de fêter ça en donnant de l’argent au peuple (acte II, scène VI) :

 

Père Ubu

Non, je ne veux pas, moi ! Voulez-vous me ruiner pour ces bouffres ?

Capitaine Bordure

Mais enfin, Père Ubu, ne voyez-vous pas que le peuple attend le don de joyeux avènement ? 

Mère Ubu

Si tu ne fais pas distribuer des viandes et de l’or, tu seras renversé d’ici deux heures. 

Père Ubu

Des viandes, oui ! de l’or, non ! Abattez trois vieux chevaux, c’est bien bon pour de tels sagouins.

Mère Ubu

Sagouin toi-même ! Qui m’a bâti un animal de cette sorte ?

Père Ubu

Encore une fois, je veux m’enrichir, je ne lâcherai pas un sou.

(…)

Capitaine Bordure

Mais, Père Ubu, si tu ne fais pas de distributions le peuple ne voudra pas payer les impôts.

Père Ubu

Est-ce bien vrai ?

Mère Ubu

Oui, oui !

Père Ubu

Oh, alors je consens à tout. Réunissez trois millions, cuisez cent cinquante bœufs et moutons, d’autant plus que j’en aurai aussi.

 

Le récit va très vite, accentuant encore le ridicule de certaines situations comme les batailles, donnant l’impression de voir un spectacle de marionnettes (ce pour quoi avait été conçu Ubu Roi au départ). On retourne alors en enfance avec plaisir, en s’amusant de jurons et en s’extasiant de situations comiques régressives.

Ubu Roi, c’est de la science politique et du théâtre, c’est du rire gras et de l’allusion presque subtile, c’est « Le Prince » de Machiavel (dont on reparlera ici d’ailleurs) et un bon dessin de Reiser à la fois. Ubu Roi, c’est bien et alors, de par ma chandelle verte, bonne lecture !

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18 septembre 2011 7 18 /09 /septembre /2011 17:36

En plus d’inaugurer ce blog, nous allons derechef inaugurer une catégorie « les livres, d’où sont tirés un film connu que t’as déjà vu, mais que t’as jamais lu ou alors il y a longtemps » avec L’Orange mécanique (A Clockwork Orange pour les puristes) d’Anthony Burgess, sorti en 1962. Ne vous inquiétez pas, Harry Potter, qui a pourtant sa place dans cette catégorie, n’est pas prévu pour tout de suite.

Quelques mots sur l’auteur tout d’abord, pour lesquels je vais tout bêtement puiser dans ce qui est dit en deuxième de couverture du livre : âgé de 40 ans, on diagnostique à Burgess une tumeur du cerveau (diagnostic qui s’avérera faux). Il lâche alors son boulot de prof d’anglais et se met à écrire, 3 romans en un an ! « Carpe diem » qu’il a dû se dire. Le livre dont il est question dans cette chronique est l’écho de la tragédie dont a été victime sa première femme, qui, agressée et violée par des voyous, mourut quelques années après, sans jamais s’être remise de cette agression.

Le film tiré du bouquin est sorti en 1971, réalisé par Stanley Kubrick, 7,6 millions d’entrées rien qu’en France, considéré comme un grand film mais tout ceci est hors sujet aujourd’hui, dommage. C’est bien le livre qui nous intéresse.

L’Orange mécanique, c’est l’histoire d’Alex, un jeune maltchick de 14 ans qui passe son temps à toltchocker des vecks avec ses drougs, écouter ludwig van et vous raconter son histoire à vous, ô lecteurs et seuls amis. Pardon, l’histoire de L’Orange mécanique, c’est celle d’Alex, un jeune voyou de 14 ans qui partage son temps à frapper des inconnus avec ses amis, écouter de la musique classique et raconter son histoire à vous lecteurs.

Le tour de force du livre, c’est de pratiquement vous apprendre une langue, celle d’Alex, et par là même, vous rapprocher de lui, de ses sentiments et faiblesses. Cette langue, c’est un mélange d’argot, de parler manouche, soviétique, tout cela traduit dans un argot français des années 70 (je n’ai pas osé m’attaquer à la VO de l’ouvrage !). Les premières pages sont laborieuses car on se réfère souvent au lexique, et puis on finit par décramponner la barre et se lancer pour quelques pages sans regarder, quitte à laisser de côté quelques mots et puis on finit par croire que bézoumni, critcher, govoritt et krovvi ont toujours appartenu au français. Pour faire un dernier parallèle avec le film, le livre réussit par son ton et son humour à faire passer pour amusantes des scènes horribles là où le film, à mon avis, esthétise et chorégraphie en ne parvenant qu’à leur donner un aspect dérisoire et le temps passant, un peu ridicule. Bref, un bien bon mélange des familles qui fait rire par ses répétitions, son imagerie, et fait passer la pilule d’une histoire noire et glauque tant Alex a le sens de l’à-propos, du commentaire qui fait sourire, faisant naître une gêne parfois, quand il commente l’aspect ridicule d’une personne gisante à qui lui et ses potes viennent de mettre une dérouillée sans raison. On se prend alors à se bidonsker tout seul quand Alex qualifie la musique pop d’une jeune devotchka (fille) de « vonneuse » et « merdzkoï », preuve que l’on s’est approprié le vocabulaire du garçon.

 

Extrait :

« On yékatait donc sur le chemin du retour, quand juste à l’entrée de la ville, mes frères, pas loin de ce qu’on appelait le Grand Canal industriel, on a reluché que l’aiguille de la jauge à essence était quasi dans les pommes, tout comme l’aiguille de nos « hah hah hah », et la bagnole toussait kapfft kapfft kapfft. Pas de quoi se faire un vrai mouron, cela dit, vu qu’une gare de chemin de fer clignotait bleu – oui non oui non – tout près. La question était de savoir si on laisserait la bagnole pour qu’elle soit sobiratée par les rosses ou bien, vu qu’on se sentait d’humeur genre pleins de haine et de meurtre, si on lui flanquerait une bonne toltchoke histoire de se payer un grand plesk bien fort avant qu’on tue la soirée (…) On a dû se reculer à toute vitesse, crainte de voir la saloperie nous éclabousser les platrusques, mais ça a fait splassshhh et glouippppp et elle s’est enfoncée en beauté.

« Adieu, vieille droug » a crié Jo. »

 

Suite à l’arrestation d’Alex (il fallait s’y attendre, à faire le vilain comme ça), le récit prend une autre tournure. D’une espèce de journal de conneries jouissif d’un gamin de 14 ans, on entre dans une histoire plus sombre et réflexive. Si Alex semble toujours n’avoir aucun recul sur ses faits et gestes (malgré quelques éclairs de lucidité qui le sauvent d’ailleurs fréquemment de mésaventures supplémentaires), le lecteur est, lui, poussé à la mise en abîme de la destinée du jeune droug Alex, en constatant son irrespect total des institutions et l’implacable dessein de celles-ci : cynisme des hommes politiques, pertinence du traitement des délinquants, notions de Bien et de Mal qui ne seraient, ô surprise, pas aussi évidentes qu’on pourrait penser. Burgess réussit, à partir d’un récit forcément tronqué et limité (car raconté à la première personne par Alex, très jeune, souvent sous l’emprise de substances illicites et passablement taré de surcroît) à aiguiller le lecteur vers des thèmes « sérieux ». La structure du récit rappelle à un certain moment celle de Dom Juan de Molière où, défiant Dieu en permanence, Dom Juan est rattrapé par les fantômes de ses ex-conquêtes* et reçoit le châtiment du Dieu, bing ! On est sur le même modèle, une partie descriptive et enjouée de l’action du héros, son apogée, porteuse du signal de sa fin, puis une partie plus (im)morale et sérieuse. Naturellement, l’époque et les contraintes pesant sur l’auteur sont différentes mais il est amusant de constater qu’à trois siècles d’écart, ce qui devait choquer à l’époque de Molière (un Dom Juan chaud du slip qui tire sur tout ce qui bouge, le tout raconté d’une manière très prude et distanciée) et maintenant (un gamin de 14 ans qui viole, cogne tout ce qui bouge, raconté d’une manière directe et crue) a légèrement varié.

Je n’en dirai pas plus, histoire de ne pas dévoiler davantage l’intrigue et laisser vous laisser, après une bonne inspiration, vous lancer dans ce stimulant récit.

 

NB : veillez bien à éviter la version censurée où il manque en fait un chapitre à la fin. C’est d’ailleurs sur cette version qu’est basé le film, ne faisant qu’accentuer la mauvaise opinion que j’ai de celui-ci.

 

*A ce sujet, je vous conseille la passionnante chronique de Kamel Toe sur le sujet.

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